Pas de traduction pour ce texte.

Aprés l’arrêt de la tentative de réinstallation d’une Communauté Trappiste (1998-2001), le Diocèse d’Alger demanda, d’abord pour un an, au Père Jean Marie Lassausse, d’assurer la gestion et l’organisation de la petite ferme du monastère, et une présence progressive sur les lieux pour garder les relations excellentes des frères avec la population du village. Cette mission fut très vite reconduite, élargie et devint une responsabilité complète.

Le P. Jean-Marie, prêtre de la Mission de France et ingénieur agronome, arrivait d’Egypte et sa première mission en Algérie avait été de suivre un projet de ferme ovine chez les réfugiés Sahraouis à Tindouf. Pendant 3 ans, il mena les deux responsabilités à Tindouf et à Tibhirine simultanément.

5 années de quasi absence aprés l’enlèvement des Frères avaient laissé un terrain presqu’en friche avec toutefois 2000 pommiers plantés en 2001 par les moines qui avaient fait une tentative de réinstallation. Avec la collaboration active de Youssef et Samir, qui travaillaient déjà avec les frères avant 1996, il a fallu remettre en état la terre et les plantations, diversifier les cultures, installer de l’irrigation goutte à goutte, défricher les parcelles pour les remettre en culture, diversifier les plantations dans le but d’expérimenter divers fruits  et de fabriquer des confitures.etc…. Ce fut un travail de longue haleine mais qui permit d’équilibrer le budget de cette mini-exploitation qui, non financée par le diocèse, ne pouvait compter que sur ses propres ressources. C’était aussi une vitrine pour les voisins et les administrations locales permettant de leur montrer ce qui était réalisable et rentable en agriculture pour cette région.

Mais les bâtiments aussi avaient bien souffert de l’usure du temps et de la non habitation ; patiemment, grâce à des dons, car là-aussi le diocèse ne put contribuer, des remises en état indispensables furent effectuées ou entamées. Un retour progressif à la normale des conditions sécuritaires permit la venue croissante de retraitants ou de volontaires pour des séjours plus ou moins longs ; l’hôtellerie et quelques autres pièces du monastère furent donc restaurées et réaménagées pour permettre des séjours dans des conditions restées austères mais convenables.

Mais surtout et outre ces tâches quotidiennes déjà lourdes, le P Jean-Marie réactiva l’« Esprit de Tibhirine » . Il écrivait en 2001 : Depuis 60 ans, les cisterciens ont tracé un chemin de solidarité, de partage, de fraternité qu’il serait dommageable de ne pas continuer.

Ce furent d’abord les relations avec les voisins dans la rencontre, la solidarité dans le travail, les aides réciproques et, grâce à l’aide de l’association des Amis de Tibhirine, l’appui à des petits projets de développement local aidant à sortir un peu de la misère, chaque projet nécessitant un discernement préalable et un suivi. Ce sont plus de 50 projets qui ont pris naissance en particulier dans l’auto construction, mais aussi l’achat d’ordinateurs pour des étudiants, des aides sociales et médicales. Un projet collectif, par l’installation de 90 compteurs de gaz de ville sur un total de 92 familles au village de Tibhirine a pu naitre et a été l’occasion de connaitre toutes les familles du village par des visites systématiques. Ce furent également des aides à l’école du village (denrées pour la cantine, fournitures scolaires, …) Et aussi la création en 2004 dans un bâtiment du monastère d’un atelier de femmes du village pour la broderie, la couture – près de 50 jeunes filles viennent travailler dans trois pièces initialement sous la houlette d’une sœur blanche, et le soutien de Caritas - pour confectionner des objets artisanaux locaux vendus à leur profit.

A partir de 2004, les conditions sécuritaires dans la région se sont bien améliorées. Cela a permis au Père Lassausse de passer progressivement de plusieurs aller-retour quotidiens, fatigants,  Alger-Tibhirine à la possibilité de résider sur place. Parallèlement, cela a entrainé la venue croissante de visiteurs et pèlerins et aussi la possibilité d’accepter des volontaires résidants sur place pour des durées plus ou moins longues et participants à la vie de prière et aux diverses activités.

Les visiteurs et pèlerins : la diffusion du film « Des hommes et des Dieux » a été un catalyseur. Près de 4 000 visiteurs en 2012, par exemple ! Les visites sont journalières et le week-end (vendredi-samedi) encore plus nombreuses. Beaucoup d’algériens viennent par curiosité ou pour visiter le lieu mais beaucoup viennent aussi pour se souvenir du Frère Luc qui soigna tant de monde dans son dispensaire pendant 50 ans. Cela donne lieu souvent à un pique-nique et toujours à des échanges sur le dialogue interreligieux, la vie monastique, l’Eglise ou même les travaux agricoles et le pourquoi d’une présence à Tibhirine après les évènements de 1996.

De nombreux groupes inscrivent Tibhirine dans leur périple en Algérie : voyages liés à un journal (parfois des groupes de 100 personnes :  La Vie, La Croix), associations algériennes, Lions’ Club tunisien et algérien, associations de pieds-noirs, sociétés françaises ou étrangères œuvrant en Algérie comme Total, Lafarge, Legrand, etc… beaucoup d’ambassadeurs européens et aussi du monde entier…

Les volontaires : entamée dès 2004, ce fut surtout à partir de 2007 une arrivée croissante de retraitants et de volontaires venus pour prier, se recueillir en ce haut-lieu mais aussi pour aider. Des séjours d’une semaine à 2 ans, individuels, coopérants, DCC, … revenant parfois plusieurs années de suite. Aides précieuses dans tous les domaines : agriculture, bricolage lourd ou léger et particulièrement pour l’accueil des visiteurs très consommateur de temps et pourtant si important pour l’échange et la fraternité ; ils donnent aussi une dimension plus communautaire à la vie de prières. Ils furent nombreux ; évoquons simplement un couple de jeunes retraités venu pour 2 ans, un prêtre de la région parisienne revenant régulièrement, un laïc belge venu pour 2 ans et appui efficace de P Jean Marie dans des contextes difficiles.

Quelques évènements marquants et de natures très diverses …. au cours de ces 15 années :

21 mai 2003 : un fort séisme frappe l’Algérois : 2400 morts. Peu ressenti à Tibhirine …où ce même jour avait été discrètement célébré l’anniversaire de la mort des frères.

2004 :  P Jean-Marie avec Youssef et Samir inaugurent la confection (et la vente) de confitures avec les fruits récoltés sur place.

2008 : Mgr Bader devient archevêque d’Alger aprés la départ lié à son âge de Mgr Teissier, le Pasteur des années noires.

2007/2011 :  tentative d’installation dans le monastère des sœurs de Bethléem. Sur cette période, au nombre de quatre, elles résident sur place, isolées et priantes, une ou deux  par semaine. Le P Lassausse et les hôtes de passage s’installent dans les annexes du bâtiment et continuent les travaux agricoles et l’accueil. Les sœurs réalisent plusieurs aménagements préservant leur isolement mais compliquant un peu le fonctionnement, en particulier pour l’accueil. Leur installation définitive n'est pas acquise et finalement elles renoncent, leur charisme cartusien n’étant pas dans l’esprit de ce qui se vivait à Tibhirine en lien avec les villageois.

Octobre 2014 : Une forte délégation, française avec le juge Trevidic et algérienne, au total près de 70 personnes, vient au monastère pour procéder à l’exhumation des restes des frères et à des analyses.  Les conditions d’exhumation sont dignes et pleines de respect pour les Frères. Le soir en fin de journée, Père Jean-Marie est appelé pour inhumer de nouveau les dépouilles ; en aube avec étole, il organise alors une prière personnelle pour chacun des Frères, une bénédiction et invite la délégation à faire un geste de respect, la plupart des membres présents jetant alors une poignée de terre dans le cercueil ouvert. A la fin des trois jours, pour clore l’ensemble des célébrations, il lit devant toute la délégation le « Testament de Christian ». Il est aidé par Frédéric, coopérant pour l’accueil et présent depuis 6 mois ; par contre personne de l’archevêché n’a été présent pendant ces jours.

2015 : très fatigué, le P Lassausse est obligé de s’arrêter plusieurs semaines en début d’année. Heureusement Frédéric tient bon la barre pendant ce temps. C’est ensuite le démarrage de l’installation de ruchers en vue de la production de miel.

Mai 2016 : 20ème anniversaire de la mort des Frères. A l’occasion du pèlerinage diocésain au monastère, une trentaine de personnes des familles des frères ainsi que des moines cisterciens viennent à Alger. Ils peuvent passer une nuit au monastère, partager un couscous avec les voisins et le lendemain assister à une célébration dans la chapelle : moments très forts et émouvants.

31 août 2016 : Le Père Jean-Marie Lassausse remet » les clés » à la Communauté du Chemin Neuf qui va ouvrir une nouvelle page dans l’histoire du monastère de Tibhirine. C’est un moment qu’il préparait et espérait depuis 15 ans puisque sa mission était de faire vivre ce lieu tant matériellement que dans l’Esprit, en attendant l’installation d’une nouvelle communauté.

EN SAVOIR PLUS :

A lire : Jean-Marie LASSAUSSE, Christophe HENNING  : Le jardinier de Tibhirine, Bayard, septembre 2010

Interview :  "Père Jean-Marie Lassausse, prêtre et paysan à Tibhirine" (Kto- interview de février 2018) :